Phéromones maternelles
Les soins parentaux sont l’ensemble des comportements des parents adressés à leur(s) progéniture(s) et destinés à favoriser leur survie et, donc, leur futur succès reproductif (un concept central en biologie évolutive). Lorsqu’ils existent, les soins parentaux sont plus fréquemment assurés par les femelles que par les mâles. Chez certaines espèces, les deux sexes s’investissent autant dans les soins parentaux, bien que parfois ce sont les mâles qui s’investissent le plus, voire sont les seuls à assurer les soins parentaux.
Les soins parentaux constituent le fondement d’un comportement social complexe chez les vertébrés et sont au cœur de la biologie des oiseaux et des mammifères. Dans les deux groupes, les jeunes sont régulièrement nourris, toilettés, maintenus au chaud et protégés par un ou plusieurs parents.
Chez les mammifères, les femelles procurent toujours des soins parentaux alors que les mâles sont généralement moins impliqués, bien qu’ils puissent en fournir, parfois de manière intensive, avec des exemples connus chez environ 10% des genres de mammifères et 59% des espèces socialement monogames. Chez les mammifères placentaires, cette différence d’implication dans les soins parentaux entre femelles et mâles peut s’expliquer, en partie, par les adaptations spécialisées de la gestation (permise par le placenta qui assure le développement interne du fœtus) et de la lactation qui sont des fonctions propres aux femelles. Cette spécialisation implique que les femelles sont très adaptées à l’investissement parental, tandis que les mâles sont physiquement dissociés de la progéniture.
Comme seule la mère assure la gestation, elle est le seul parent à investir directement du temps et des ressources énergétiques au développement de la progéniture in utero, dont la présence est garantie à la naissance des petits et qui soit équipée pour fournir une alimentation initiale post-natale grâce à la lactation. Les soins apportés par la mère sont capitaux à la survie des nouveau-nés. Juste après la mise-bas, la mère effectue généralement un toilettage, ce qui stimule la progéniture et, chez certaines espèces (comme le chien et le chat), favorise la miction et la défécation. Elle adopte également une posture spécifique qui facilite l’alimentation de ses petits. Les soins prodigués s’étendent à l’apport de chaleur, d’un abri et à une protection contre les prédateurs et les congénères.
L’ensemble de ses soins s’accompagnent de coûts importants pour la mère, sous forme de dépenses d’énergie métabolique destinée à la régulation thermique et à la production de lait, ainsi qu’au risque accru de prédation résultant de la présence de nouveau-nés particulièrement vulnérables du fait de leur remarquabilité et de leur mobilité limitée. Étant donné que les ressources de la mère et sa période de fertilité sont limitées, les investissements postnataux au développement des nouveau-nés jusqu’à leur sevrage, et parfois au-delà, réduisent ses opportunités de pouvoir produire une descendance supplémentaire. Par ailleurs, les parents incapables de distinguer leur propre descendance de nouveau-nés étrangers mettent en péril leur succès reproductif, car leur progéniture se voit privée de ressources nécessaires à leur développement au profit de celui de jeunes non apparentés. Il s’ensuit que la sélection naturelle doit favoriser l’évolution de mécanismes permettant d’assurer que l’investissement parental de la mère ne bénéficie qu’à sa progéniture. C’est donc avec leur propre progéniture que les mères forment les liens sociaux les plus solides. De la parturition au sevrage, ces liens sociaux sont assurés par l’échange d’informations sensorielles entre la mère et ses petits. En particulier, l’olfaction, avec le toucher, apparaît comme le médiateur universel des interactions mère-progéniture(s), à des degrés variables selon la maturité des petits à leur naissance. Concernant ce dernier aspect, on distingue les espèces altriciales (ou nidicoles) des espèces précociales (ou nidifuges), avec un continum entre ces deux extrêmes*. Les termes altricialité et précocialité sont utilisés pour indiquer un stade précoce ou tardif de développement des nouveaux-nés chez les animaux. L’échelle altricialité-précocialité décrit le degré de maturité comportementale et morphologique de la progéniture à la naissance (ou à l’éclosion).
Chez les espèces altriciales (généralement des espèces avec des portées nombreuses comme le chat, le chien, le lapin), les nouveau-nés sont particulièrement peu développés. Leurs capacités sensorielles (à l’exception notable de l’olfaction) et locomotrices sont fortement limitées ce qui les confinent, pendant une certaine période, dans un nid confectionné par leur mère et dans lequel ont lieu les interactions entre la mère et ses petits. Ils nécessitent des soins parentaux intensifs.
Chez les espèces précociales (comprenant la plupart des ongulés, comme les chevaux), la femelle donne naissance, en général, qu’à un seul petit qui dispose de capacités sensorielles et locomotrices fonctionnelles. Chez ces espèces, les mères développent des soins exclusifs, permettant uniquement à leurs propres petits de téter. Un lien clair basé sur la reconnaissance mutuelle se développe entre la mère et sa progéniture peu après la naissance.
Ainsi, lorsque les petits d’un parent sont susceptibles d’être mêlés à des nouveau-nés non apparentés, comme cela se produit généralement chez diverses espèces de mammifères grégaires (en général des espèces dites précociales), les mères et la progéniture développent rapidement la capacité de se reconnaître mutuellement à l’aide d’informations visuelles et olfactives. A contrario, l’isolement des jeunes dans un nid pendant la période de dépendance aux soins maternels (typiquement chez les espèces altriciales), implique qu’une reconnaissance précise des jeunes à ce stade de leur développement par la mère n’est pas une nécessité car son investissement est presque assuré de n’être attribué qu’à sa progéniture.
Bien que les nouveau-nés ne puissent survivre sans les ressources maternelles, ils ne sont pas simplement les bénéficiaires passifs des soins parentaux. A la naissance, ils sont exposés à une pression de sélection extrêmement importante et leur premier défi est d’atteindre la source de lait le plus rapidement possible. Les réserves énergétiques corporelles étant très limitées, tout retard dans l’ingestion de lait met les nouveau-nés en danger d’hypothermie, entraîne une diminution de l’absorption d’anticorps et donc leur protection contre les infections ce qui influe sur leur capacité de survie. Les nouveau-nés participent donc activement à la localisation et à la succion des mamelons et influencent le comportement de soins de leur mère en lui faisant part de leurs besoins.
La rapidité de cette première tétée est donc vitale car elle conditionne la transmission mère-nouveau-né non seulement d’une source d’hydratation, de nutriment et de calories, mais aussi de l’immunisation passive, de la colonisation bactérienne, de facteurs de croissance, de peptides actifs sur plusieurs fonctions comportementales importantes (par exemple pour le soulagement de la douleur, la stimulation de la mémoire, l’induction du sommeil) et, enfin et surtout, d’informations sensorielles. Par conséquent, tout moyen permettant de ménager les efforts des nouveau-nés pour localiser et accélérer l’acceptation de la prise orale de la mamelle est bénéfique et est positivement sélectionné au cours de l’évolution.
Par ailleurs, la capacité des nouveau-nés à répondre préférentiellement à leur mère est primordiale pour bénéficier davantage des soins parentaux, car les adultes peuvent rejeter, réagir agressivement ou même cannibaliser une progéniture étrangère.
Il existe donc des mécanismes impliqués dans la reconnaissance mutuelle mère-progéniture et dans la localisation et l’acceptation du mamelon par les nouveau-nés.
Malgré les disparités observées dans les capacités sensorielles liées au degré de maturité et d’autonomie des nouveau-nés, l’olfaction est universellement bien développée chez ces derniers pour faire face aux stimuli olfactifs inévitablement émis par le corps maternel ou associés à celui-ci.
* Par exemple, chez les primates (dont l’être humain) les nouveaux-nés sont peu nombreux par portée (généralement un individu), ont un systèmes sensoriel fonctionnel mais des capacités locomotrices limitées. De ce fait, il s’agit d’espèces avec un mode de maternité intermédiaire entre altricialité et précocialité.