Les phéromones
En 1959, un nouveau terme désignant une classe de substances biologiques actives fait son apparition : les phéromones
Peut-être avez-vous déjà lu et/ou entendu ce terme au détour d’un article, d’un reportage ou même, pourquoi pas, d’une conversation, à moins que ce ne soit la première fois que vous le rencontrez. Dans tous les cas, nous vous proposons ici de (re)découvrir sa signification.
Le monde animal est, par bien des aspects, très différent du nôtre. Alors que nous évoluons principalement dans un univers visuel et sonore, celui des animaux est constitué en bonne partie d’odeurs, à tel point que l’on peut parler de « sphère d’odeurs » : en tout point de l’espace, ils se déplacent dans un paysage d’odeurs. Tout comme les sons et les images visuelles permettent de communiquer des informations aux individus qui les perçoivent, les odeurs sont porteuses d’informations. Les odeurs étant des substances chimiques, on parle de communication chimique, ou de sémiochimie.
Cette notion de communication chimique n’est pas particulièrement nouvelle. Déjà pendant l’antiquité, les Grecs savaient que les chiens étaient attirés par des sécrétions produites par des femelles en chaleur. Plus tard, Charles Darwin determina que les odeurs jouent un rôle d’importance, au même titre que les signaux acoustiques et visuels, dans la capacité des mâles à attirer les femelles, chez des espèces aussi variées que les éléphants, les crocodiles, les chèvres et les canards. Mais il faudra attendre 1959 avec l’isolation et l’identification de la première phéromone sexuelle (le bombykol), produite par la femelle du papillon du ver à soie (le Bombyx du mûrier), et détectée par le mâle jusqu’à plusieurs centaines de mètres grâce à ses antennes plumeuses caractéristiques, pour que le terme « phéromone » fasse son apparition.
Les phéromones appartiennent à cette grande famille de substances chimiques que l’on retrouve dans l’ensemble du règne vivant, les sémiochimiques. En plus des phéromones on y trouve une autre sous-famille, les allélochimiques, qui comprend : les kairomones, les allomones et les synomones. Toutes ont leurs fonctions biologiques propres mais partagent un point commun, celui d’assurer la communication des êtres vivants entre eux et avec leur environnement. Pour cette raison, on les désigne aussi sous les termes génériques de signaux chimiques, d’infochimiques, de messages chimiques ou encore de médiateurs chimiques.
Le terme « phéromone » est dérivé du grec pherein, signifiant transférer, et hormōn, exciter, stimuler. Les phéromones sont définies comme des substances sécrétées en des quantités infinitésimales vers l’extérieur par un individu et reçues par un autre individu de la même espèce, chez lequel elles vont provoquer une réaction spécifique, de nature comportementale ou physiologique. Les phéromones qui déclenchent des réactions comportementales sont appelées phéromones incitatrices (ou releasers en anglais) et agissent instantanément (de quelques secondes à quelques minutes). En revanche, les phéromones qui modulent des processus physiologiques ont des effets sur le long terme (effets sur la croissance, le développement, la maturation sexuelle, le cycle de fécondité, la grossesse…), sont désignées phéromones modificatrices (ou primers en anglais). Certaines phéromones peuvent combiner les deux effets à la fois. Deux autres catégories de phéromones ont été proposées en plus deux deux premières, mais sans qu’elles aient été validées : [les modulators (péromones affectant l’humeur ou les émotions) et les signalers (phéromones impliquées dans la reconnaissance de proches/individus apparentés).]
Si les allélochimiques assurent l’échange d’informations entre individus d’espèces différentes, les phéromones sont émises et perçues par des individus d’une même espèce (par exemple entre chats ou entre chiens, mais pas entre chats et chiens). Une autre caractéristique essentielle distingue les phéromones des autres sémiochimiques (i.e. les allélochimiques). Les phéromones sont des signaux qui ont été sélectionnés au cours de l’évolution pour l’avantage adaptatif que confère la réponse (comportementale ou physiologique) qu’ils déclenchent chez les individus qui les perçoivent. A contrario, les allélochimiques apportent des informations utiles aux individus qui les exploitent, mais n’ont pas évolués pour remplir cette fonction précise. Par exemple, le comportement d’attraction des moustiques a évolué en réponse à l’émission de CO2 par la respiration de leurs hôtes et possèdent à cet effet des récepteurs spécialisés très sensibles. En revanche, l’émission de CO2 n’est pas une caractéristique sélectionnée au cours de l’évolution de l’hôte pour spécifiquement attirer les moustiques. Il s’agit, dans ce contexte, d’une kairomone, c’est-à-dire d’une source d’informations qui apporte un avantage à l’individu qui l’exploite, mais désavantageux pour l’organisme à l’origine de son émission.
Les phéromones volatiles des invertébrés sont généralement détectées par des récepteurs d’odeurs, tandis que les phéromones moins volatiles peuvent être détectées par des récepteurs gustatifs. En revanche, les vertébrés utilisent de petites protéines ou peptides pour la communication phéromonale, détectés par des récepteurs spécifiques, qui permettent d’augmenter le degré de complexité et de spécificité des phéromones.
On distingue plusieurs types de phéromones en fonction des comportements dans lesquels elles sont impliquées, dont les principales sont :
- les phéromones sexuelles : sans doute les plus connues. Elles jouent un rôle important dans le comportement et les processus de reproduction en coordonnant les activités reproductrices des individus. Elles sont émises par un individu d’un sexe, insecte ou mammifère, pour, par exemple, indiquer à l’autre sexe une disposition à être fécondé.
- les phéromones d’agrégation : essentiellement présentes chez les invertébrés (mollusques, arthropodes…). Elles sont émises soit par les mâles soit par les femelles pour réunir des individus. Contrairement aux phéromones sexuelles qui n’attirent que des individus du sexe opposé, les phéromones d’agrégation attirent des individus des deux sexes, voire les larves.
- les phéromones épidéictiques ou d’espacement : ces phéromones sont décrites chez les insectes. Si les phéromones d’agrégation signalent qu’un site est adapté (pour le repos, l’alimentation…), les phéromones épidéictiques, au contraire, indiquent qu’un site comporte des risques de compétition, de dangers et potentiellement de cannibalisme et incitent les congénères à trouver un autre site.
- les phéromones de marquage d’hôtes : chez les insectes parasitoïdes, les ressources exploitable (i.e., l’hôte) par leur larve sont limitées. La dépôt d’une phéromone de marquage sur un hôte permet aux femelles d’éviter de pondre un deuxième œuf dans un hôte dans lequel elle a déjà pondu, car cela gaspillerait son deuxième œuf et pourrait être préjudiciable à la survie de son premier œuf. Pour la même raison, il est avantageux pour les autres femelles d’éviter de pondre dans les hôtes ainsi marqués, car sinon leur œuf serait désavantagé par rapport au premier.
- les phéromones de territoire : on les retrouve chez les mammifères et d’autres espèces de vertébrés. Les mammifères disposent de nombreuses glandes spécialisées à cet effet en plus de l’urine et des fèces. C’est un moyen de marquer leur territoire, de le repérer et d’indiquer leur présence à d’éventuels concurrents.
- les phéromones de piste ou de trace : elles sont connues chez les insectes, les fourmis notamment, qui lorsqu’elles vont de la fourmilière jusqu’à une ressource alimentaire marquent leur itinéraire, ce qui permettra à d’autres congénères de suivre la piste. Des phéromones de pistes ont aussi été décrites chez des vertébrés (serpent et cerf).
- les phéromones de recrutement : ces phéromones permettent aux insectes sociaux (fourmis, abeilles, termites…) de recruter des congénères afin de coordonner certaines de leurs activités (collecter de la nourriture, défendre le territoire…)
- les phéromones d’alarme : ce sont des substances libérées en cas de blessure ou d’attaque, qui déclenchent la fuite (pucerons) ou l’agression (abeilles) chez les autres individus de la même espèce. On les trouve aussi chez les poissons et les mammifères.
- les phéromones de signalisation (aussi appelées phéromones d’information) : elles fournissent des informations (âge, genre, status social au sein d’un groupe) à un individu receveur et conduit ou non à une modification de son comportement
Le système olfactif des mammifères est un ensemble complexe formé de deux systèmes, à la fois distincts et complémentaires : le système olfactif principal et le système olfactif accessoire, constitué de l’organe voméronasal (ou organe de Jacobson). Ce dernier joue un rôle essentiel, mais pas exclusif, dans la détection des phéromones (il est aussi impliqué dans la détection d’allélochimiques). Le système olfactif principal, bien que moins spécialisé que l’organe voméronasal peut aussi être impliqué dans la détection de phéromones.
De nombreuses espèces de mammifères adoptent un comportement caractéristique en réponse aux phéromones, appelé flehmen : l’animal se tient droit, étend son cou, lève la tête, évase les narines, ouvre légèrement la bouche et recourbe la lèvre supérieure, exposant souvent la gencive supérieure.
Le flehmen est souvent effectué à plusieurs reprises en réponse au même stimulus et peut être maintenu pendant une minute ou plus. On pense que ce comportement facilite le transport de composés relativement non volatils vers l’organe voméronasal, qui est situé dans l’os vomer entre les voies nasales et la bouche. Ainsi l’organe voméronasal semble être utilisé pour la perception et l’analyse des phéromones, permettant à l’animal effectuant des flehmens d’obtenir des informations sur l’animal émettant les phéromones.
Des phéromones chez l'humain ?
Contrairement à la majorité des mammifères, l’organe voméronasale (OVN) chez l’être humain adulte n’est pas fonctionnel. Il est retrouvé à l’état de vestige et est dépourvu de connexions neuronales.
Cependant, l’OVN n’est pas la seule structure impliquée dans la détection de phéromones. Le système olfactif principal peut lui aussi être impliqué dans ce processus mais, face à l’absence de preuves solides, l’existence de phéromones humaines est à ce jour sujet à controverse. Néanmoins, la réponse des bébés à des sécrétions de mères allaitantes (et pas seulement à la leur), suggère l’existence d’une phéromone mammaire humaine.
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